

Année de sortie : 1994 |
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Il y a peu de chances que vous ne connaissiez pas Fatal Fury, Art Of Fighting, ou The King of Fighters. De mĂȘme, je suis quasiment convaincu que des sĂ©ries comme World Heroes ou Samurai Spirits nâont aucun secret pour vous. En revanche, il yâa des jeux un peu plus obscurs qui nâont pas bĂ©nĂ©ficiĂ©s de lâexposition mĂ©diatique des titres sus-citĂ©s ; pourtant, il nâexiste aucun lien de cause Ă effet avec la qualitĂ© intrinsĂšque de ces titres. Un jeu comme Karnovâs Revenge (Fighterâs History Dynamite dans son titre japonais) pourrait en ĂȘtre un parfait exempleâŠ
La génÚse
Karnov est tout dâabord un jeu de plate-forme mettant en scene le colosse cracheur de feu Jinborov Karnovzki sortit en arcade en 1988 et convertit sur de multiples plates-formes (Nes, Amstrad, CpcâŠ). AprĂšs des passages remarquĂ©s dans des jeux comme Tumblepop ou Bad Dudes, câest en 1993 que le gros Karnov revient, mais cette fois-ci dans un jeu de baston en arcade et sur Super Nintendo : Fighterâs History, puis un an plus tard en 1994 sur Neo-Geo dans Fighterâs History Dynamite, alias Karnovâs Revenge. Câest ce dernier qui nous interesse ici.
Et dieu créa Karnov
Karnovâs Revenge est un jeu de combat en un contre un classique ou des combattants venus des quatre coins de la planĂšte sâaffrontent dans diffĂ©rents dĂ©cors aux compositions musicales hĂ©tĂ©roclites. Le jeu se joue avec 4 boutons de maniĂšre trĂšs conventionnelle et le but et de remporter les 2âŠ. nan, nan pardon, je divague COMPLETEMENT lĂ ! Karnovâs câest pas ça du tout. Karnovâs câest une cartouche Neo-Geo pesant la bagatelle de 122Mb remplie Ă ras bord de gros nâimporte quoi.
Pour essayer de sâimaginer un peu le bordel que reprĂ©sente ce jeu, il faut impĂ©rativement aller contre nature. Jâen sais rien, faut imaginer « Yâa t il un flic pour sauver la reine » rĂ©alisĂ© par Francis Ford Coppola, imaginer un hippopotame se reproduire avec un lĂ©murien ou pire, imaginer M. Pokora chanter une vraie chanson pour avoir une once dâidĂ©e approximative de ce Ă quoi pourrait Ă©ventuellement ressembler Karnovâs Revenge.
Mais avant de rentrer dans le vif du sujet, un peu dâhistoire.
Quand Capcom sodomisa les joueurs de la planĂšte entiĂšre en lançant Street Fighter 2 en arcade et en sâen mettant plein les poches, nombreuses furent les multinationales dirigĂ©es par des golden boys aux dents rayant le parquet Ă avoir senti le bon filon. Toutes, ou presque, se lancĂšrent dans la pĂ©rilleuse expĂ©rience du plagiat.
DĂ©bordĂ© par toutes ces copies de plus ou moins bonne facture, Capcom laissa faire. Mais quand sorti le premier Fighterâs History en 93, les grands pontes de chez Capcom pĂ©tĂšrent un cĂąble et attaquĂšrent lâĂ©diteur du jeu pour plagiat, considĂ©rant que le produit de Data East re-pompait de maniĂšre Ă©hontĂ©e la plupart des coups du jeu de Capcom, ce qui est fort vrai au demeurant.
Vous trouverez dans les manuels dâhistoire du jeux-vidĂ©o que Capcom a Ă©tĂ© dĂ©boutĂ© et que Fighterâs History fut considĂ©rĂ© comme parfaitement lĂ©gal. Ce que lâhistoire ne dit pas, en revanche, câest que Data East ne sâen est pas tirĂ© Ă si bon compte uniquement parce que leur bĂ©bĂ© se diffĂ©renciait suffisamment de Street Fighter II (malgrĂ© les Ă©normes ressemblances comme la musique sur lâĂ©cran de selection des perosnnages, ou la gueule de Ray parfait clone de Ken). Non, non. La vĂ©ritĂ© est que les jurĂ©s ont pris la manette, se sont lancĂ©s dans une partie de Fighterâs History, et ont explosĂ©s de rire. Par quelle hĂ©rĂ©sie du saint esprit peut-on comparer Street Fighter II et Fighterâs History ? Autant comparer un Kata avec les Super Star du Catch. Pourtant on ne peut pas nier que tous les coups spĂ©ciaux de Fighterâs History ont Ă©tĂ© honteusement, et sans aucune retenue, copiĂ©s sur Street Fighter 2, mais il est bien difficile de de les reconnaĂźtre tant la sauce Ă laquelle ils ont Ă©tĂ© cuisinĂ©s a Ă©tĂ© relevĂ©e, chargĂ©e dâĂ©pices et de champignons (Ă tendance hallucinogĂšne, bien entendu).
Fighterâs History Dynamite (Karnovâs Revenge), câest Ă la fois le cirque Pinder et Zapatta dans votre salon. Une sorte de carnaval divin qui sâanime dans votre Ă©cran.
Baloooooooooooooooooooooooon!
La galerie de personnages propose des looks tous plus barrĂ©s les uns que les autres. Si les personnages de Street Fighter II peuvent entre comparĂ©s Ă des caricatures de pratiquants de sports de combats divers et variĂ©s, ceux de Karnovâs peuvent entre assimilĂ©s Ă des caricatures de caricatures de ces mĂȘmes pratiquants dâarts martiaux. Le trait est volontairement Ă©pais, les expressions faciales sont amplifiĂ©es, les voix, les bruitages et les mimiques sont sur-exagĂ©rĂ©es, bref dans le soucis de donner une Ăąme Ă leur produit les dĂ©veloppeurs nâont pas su se retenir et nous offrent un jeu qui dĂ©borde de vitalitĂ© et dâimagination. Karnovâs Revenge respire la joie de vivre et la gaietĂ©, les dĂ©cors sont tous dĂ©taillĂ©s, animĂ©s, drĂŽles et originaux. Les thĂšmes musicaux sont dans la mĂȘme veine et appellent instantanĂ©ment a la fĂȘte, surtout quand ils sâaccĂ©lĂšrent en fin de round !.
Au niveau de lâambiance Ă proprement parler, Karnovâs est une perle qui ne saurait souffrir dâaucune critique.
Pour remettre les choses dans leur contexte, je pense quâil est utile de prĂ©ciser lâĂ©poque Ă laquelle Karnovâs Revenge est venu violer notre pudeur de jeunes joueurs en dĂ©barquant ni dâAdam ni dâEve. CâĂ©tait au dĂ©but de lâannĂ©e 1994, lâannĂ©e mĂȘme de la sortie des 32 bits. On nous vantait alors partout de lâultra rĂ©alisme a outrances, des polygones par dizaines de milliers Ă mĂȘme de nous rapprocher de la rĂ©alité⊠Et lĂ , Karnov et ses potes dĂ©barquent, et nous offrent des stages assez incroyable comme un Inca probablement en train de faire une danse de la pluie dans le dĂ©cor de la savane africaine, lâArc de Triomphe a deux pĂątĂ©s de maison de la tour Eiffel dans le stage de Paris, Zazie qui dispose dâun membre qui semble dĂ©mesurĂ© (quoique non, lĂ câest peut ĂȘtre trĂšs rĂ©aliste)⊠Bref, nos repĂšres sont bouleversĂ©s et pour la deuxieme fois, on est Ă nouveau traumatisĂ© (la premiĂšre fois câĂ©tait pour Street Fighter II quand mĂȘmeâŠ)
Evidemment, cette surenchĂšre jubilatoire se voit immĂ©diatement traduite en plein match. Les perso utilisent pour la plupart des attaques complĂštement loufoques donc cultes, adoptent une gestuelle dĂ©bile donc irrĂ©sistible (la posture de Karnov est fabuleuse !). D’ailleurs des persos il y en a 13 et, petit dĂ©tail, qui n’en est pas un, une fois que vous serez venu Ă bout de Karnov dans son dĂ©sert, vous aurez l’immense surprise d’affronter OZ, un……… TAUREAU !!! Faudrait que je me renseigne mais il semble que lâherbe Ă©tait bon marchĂ© en 94 au JaponâŠ
Bien sur tout ceci serait bien beau si le jeu Ă©tait vide et pauvre techniquement, ce qui nâest heureusement pas le cas. Comme pour sa rĂ©alisation, Karnovâs adopte un gameplay qui vous entraĂźnera Ă la limite de la rupture dâanĂ©vrisme ou la folie des programmeurs nâa pratiquement plus aucune limite.
Quâest ce que Karnov a dans son (gros) ventre ?
Karnovâs Revenge peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme de la premiĂšre vague des jeux de combat 2D, entendez par la « sans barre de super ». Les affrontements opposent donc 2 personnages qui vont devoir se mettre sur la gueule dans la plus simple expression. Pas de barre de super, donc pas de furie, pas de break, pas de cancel mais aussi pas de guard crush et encore moins de barre de stun.
Tiens, les stun, parlons en un peu. Une des originalitĂ©s du jeu est que chaque personnage dispose dâun point faible, gĂ©nĂ©ralement un vĂȘtement ou un accessoire, quâil suffit dâatteindre 2 ou 3 fois (quelle que soit la puissance des coups portĂ©s du reste) pour le faire tomber dans les pommes. Une fois ceci fait, le vĂȘtement tombe (si câest les bottes, votre perso finira le round pieds nus, etc) et vous ĂȘtes Ă lâabri pour le reste du round. Ceci peut sembler nâĂȘtre quâune anecdote mais pourtant, cet Ă©lĂ©ment devra ĂȘtre pris en considĂ©ration. Nous y reviendrons.
A cotĂ© de cela, Karnov a aussi cette particularitĂ© de se jouer Ă 4 boutons mais avec une config. dĂ©passĂ©e : A et B sont les 2 boutons de poings et C et D les 2 boutons de pieds. Ca peut dĂ©stabiliser au dĂ©but, mais on sây (re)fait trĂšs rapidement. En dehors de ces coups de base (et de leurs Ă©ventuelles dĂ©clinaisons au corps Ă corps) : rien ou presque. Une choppe tout au plus (avant+ B dans le cas gĂ©nĂ©ral, mais ça dĂ©pend des persos) et puis câest tout. Ne cherchez pas de casse garde, de burst cancel en option select ou dâautres excentricitĂ©s, vous perdriez votre temps. Au niveau des mouvements, idem, câest le minimum syndical : 1 hauteur de saut, un back dash et câest tout.
Mais alors, quâest ce quâil a pour lui ce Karnovâs Revenge ?
Et bien dĂ©jĂ , il faut savoir quâil y a quand mĂȘme un systĂšme de chain combo qui est plutĂŽt bien pensĂ© (surtout pour lâĂ©poque !) oĂč les coups faibles sâenchaĂźnent parfaitement avec les forts permettant de faire assez simplement des combos plutĂŽt longs, ce qui est toujours plaisant et offre une rĂ©elle libertĂ© par rapport aux Fatal Fury par exemple.
Ensuite, il y a de nombreux coups spĂ©ciaux qui sont des coups « Ă rallonge » ; ils collent plusieurs hits dâaffilĂ© Ă lâadversaires et permettent gĂ©nĂ©ralement de continuer ensuite sur un combo ou un pressing de maniĂšre extrĂȘmement cruelle. RĂ©sultat, on passe son temps Ă subir les assauts adversaires en cherchant la moindre faille Ă exploiter, le tout avec les possibilitĂ©s limitĂ©es du jeu. Et câest la tout lâintĂ©rĂȘt du soft : ĂȘtre capable de sâextraire de pressings quasi infinis en trouvant la microseconde (jâexagĂšre a peine !!!) durant laquelle vous allez pouvoir vous en sortir pour prendre Ă votre tour le rĂŽle du bourreau. Heureusement que vous avez le droit de rester en garde a lâinfini (câest dans cette optique que les choppes, bien quâimpossible Ă dĂ©chopper, ne retirent que peu de barre de vie) et que vous pouvez toujours garder lâespoir grĂące aux « points faibles » dont je parle au-dessus. DĂ©s lors tout est question de stratĂ©gie : pour lâattaquant, de produire les assauts les plus efficaces tout en couvrant son point faible et pour le dĂ©fenseur, de tenter de toucher ce point faible tout en tentant de sâextirper du pressing adverse.
Pour favoriser ces attaques rĂ©pĂ©tĂ©es, il est Ă noter quâil y a dans Karnovâs de nombreux coups spĂ©ciaux « originaux » dans leur exĂ©cution dâune part, mais aussi dans leurs effets. Des coups que lâon reverra dans dâautres titres, mais qui sont ici prĂ©curseurs. Quâil sâagissent de flammes rampantes au sol et que lâon peut suivre Ă loisir, ou de coups vous donnant un contrĂŽle total de votre personnage dans les airs (pour Ă©videmment essayer de briser la garde adverse), ces coups dâun genre nouveaux posent les bases du systĂšme de « trap » qui sera repris (et Ă©videmment amĂ©liorĂ©, hein) dans les Guilty Gear par exemple. CouplĂ© Ă la vitesse du titre, on en arrive rapidement Ă des phases de jeu ou il faut rĂ©flĂ©chir et prendre des dĂ©cisions trĂšs vite pour ne pas ĂȘtre pris de court et câest ce genre de montĂ©es dâadrĂ©naline qui donnent un cachet si particulier a ce soft.
Les dĂ©veloppeurs ont aussi oubliĂ© la notion de « recover » dans leur jeu. Câest bien simple : 95% des coups spĂ©ciaux sont garantis sans temps mort, et câest dâailleurs en exploitant ce type de dĂ©tails quâon arrive Ă rĂ©aliser des combos infinis, qui sont lĂ©gions dans le jeu. Il faut donc en user, en abuser mĂȘme, que ce soit pour zonner ou pour attaquer. On peut ĂŽter de son esprit lâidĂ©e de recevoir une contre attaque foudroyante et lâon peut dĂ©s lors se concentrer sur son pressing et sur la rĂ©action adverse. Imaginez vous un Street Fighter II ou les dragon Punch de Ryu et Ken ne les font pas sauter, ou ils ne prennent pas la pose aprĂšs leurs Hadoken, ou lâon ne puisse pas se baisser sous leurs Tatsu et peut ĂȘtre que vous aurez une vague idĂ©e de ce vers quoi tend Karnovâs RevengeâŠ
Comme dĂ©cidĂ©ment ce jeu ne fait rien comme les autres, il est Ă noter que la plupart des personnages (mais pas tous ! En cela aussi Karnov Ă©tait hors du commun) disposent dâune « botte secrĂšte », un coup spĂ©cial ultime, qui est gĂ©nĂ©ralement un coup spĂ©cial amplifiĂ© ; qui fait plus de dĂ©gĂąts. On peut le faire quand on le veut, aucune condition particuliĂšre Ă respecter. La seule chose est que la manip est gĂ©nĂ©ralement plus compliquĂ©e (du genre demi-cercle de lâarriĂšre vers lâavant mais en passant par le haut au corps a corps avec Marstorius) et demande un temps de prĂ©paration et dispose dâun recover assez long (AllĂ©luia!!!).
On terminera la partie gameplay en prĂ©cisant quâune autre des forces de Karnovâs Revenge, câest de proposer des persos qui se jouent tous de façons trĂšs diffĂ©rentes. Il y en a pour tous les goĂ»ts et chaque personnage dispose dâun style trĂšs diffĂ©rent, rendant les combinaisons dâaffrontements Ă chaque fois unique. CâĂ©tait une des premiĂšres fois ou il y avait plusieurs personnages fĂ©minins, plusieurs choppeurs ou plusieurs personnages Ă charge, permettant Ă chacun dây trouver son compte.
Conclusion
Pour toutes ces raisons, on peut affirmer aujourdâhui que Karnovâs Revenge a bien jouĂ© un rĂŽle trĂšs particulier dans lâhistoire des jeux de baston. Son aura est tellement forte quâil existe au Japon un DVD de la collection « insanity » rĂ©servĂ© aux secrets du jeu et quâil est encore organisĂ© de gros tournois dessus. Autre caractĂ©ristique, câest une des meilleurs cartouches Neo-Geo AES niveau rapport qualitĂ©/prix. A 30⏠la cartouche, vous nâavez plus aucune raison de ne pas craquer ! Un titre mĂ©morable dont il nous tarde dâavoir des nouvelles, SNKP en ayant rĂ©cupĂ©rĂ© tout rĂ©cemment les droitsâŠ
A noter que Karnovâs Revenge a connu une suite sur Super Famicom dans un Ă©pisode qui tournait autour du personnage principal. Fighter’s History Mizoguchi Kiki Ippatsu, puisque câest son nom, Ă©tait bel et bien un jeu de baston, mais il proposait un mode story complĂštement barrĂ© (une sombre histoire de pieuvres dâOsakaâŠ), un mode practice, un mode team (jouable a 4 !) et plein dâautres petites choses a cotĂ©.
Testeur: Yves Dandonneau
Mise en page: WoVou
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